Certes, nous avons vu récemment que les investissements en santé digitale étaient en augmentation, mais il ne faut pas occulter les multiples difficultés pour les start-up Françaises en santé sur l’accès au marché ou la pérennisation d’un véritable modèle économique. Tour d’horizon des obstacles rencontrés aujourd’hui par les entrepreneurs en santé.
En pleine effervescence, la santé digitale s’impose comme un secteur stratégique pour l’avenir des systèmes de soins. Intelligence artificielle, télémédecine, plateformes de suivi à distance, objets connectés… les start-up françaises multiplient les innovations. Pourtant, malgré cet élan, beaucoup peinent à s’imposer durablement sur le marché. Entre complexité administrative, incertitudes économiques et cadre réglementaire rigide, les obstacles sont nombreux.
L’une des principales difficultés réside dans l’accès au remboursement par l’Assurance maladie. À la différence des médicaments ou dispositifs médicaux classiques, les solutions numériques suivent un parcours d’évaluation et de reconnaissance encore flou.
La Haute Autorité de Santé (HAS), le Comité économique des produits de santé (CEPS) ou encore l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) interviennent dans des processus longs et coûteux. Si le dispositif PECAN (prise en charge anticipée du numérique) a permis de faire émerger quelques projets pilotes, son champ reste restreint et il ne garantit pas l’accès au droit commun. Si on compare au modèle DiGA allemand, on est très loin du compte.
A titre d’exemple, il y a quelques semaines, Edouard Gasser, CEO de Tilak Healthcare, dévoilait son incompréhension (tout en acceptant la décision) suite un avis défavorable de la HAS pour une généralisation du remboursement de la solution Odysight, alors qu’elle a fait l’objet d’une expérimentation article 51 avec plus de 25 000 prescriptions réalisés. Aujourd’hui, un ophtalmologiste sur cinq utilise cette solution. Une décision qui témoigne du décalage entre les instances évaluatrices et les besoins réels sur le terrain avec une solution qui a fait ses preuves…
Malheureusement aujourd’hui en France, il est très difficile de construire un modèle économique viable sans l’accès au remboursement…
Les start-up doivent également composer avec une fragmentation extrême des acheteurs. Entre hôpitaux publics, ARS, établissements médico-sociaux, collectivités locales, industriels pharmaceutiques, medtechs et assureurs privés, les interlocuteurs sont multiples, aux logiques parfois divergentes. À cela s’ajoute la complexité des marchés publics, où les appels d’offres privilégient souvent la notoriété ou la stabilité financière, au détriment de l’innovation. Ce fonctionnement exclut de facto de nombreuses jeunes pousses. C’est ce qu’a voulu dénoncer, le Dr Loïc Brotons, CEO de Galeon il y a quelques semaines dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux où il a annoncé attaquer en justice l’appel d’offres de l’hôpital de Chambéry.
Ces jeunes pousses restent donc sous pression. Sans revenus récurrents, la plupart des start-up santé vivent au rythme des levées de fonds. Cela génère une instabilité structurelle et expose ces entreprises aux aléas du capital-risque. Par ailleurs, la monétisation des données de santé, pourtant très valorisées, reste complexe du fait du RGPD, des contraintes d’hébergement (HDS) et autres exigences réglementaires.
Les start-up doivent également faire face à une exigence clinique difficile à satisfaire. Pour espérer une reconnaissance institutionnelle, les solutions numériques doivent démontrer une efficacité clinique robuste. Mais cette exigence, calquée sur celle du médicament, est souvent inadaptée aux logiciels de santé ou aux algorithmes évolutifs. De nombreuses start-up n’ont ni le temps ni les moyens de mener des études longues, en vie réelle, sur des cohortes suffisantes.
Sans oublier l’aspect réglementaire où les mises en conformité successives du règlement du dispositif médical, de l’AI Act et autres réglementations européennes monopolisent de nombreuses ressources budgétaires et humaines… au détriment du développement des usages le plus souvent.
Je ne prétends pas détenir toutes les solutions face à ces difficultés mais voici quelques pistes qui me semblent intéressant d’explorer pour fluidifier l’accès au marché et sécuriser le modèle économique des start-up santé françaises :
- Simplifier et généraliser des dispositifs comme PECAN ou créer une porte d’entrée unique au remboursement pour les innovations numériques.
- Faciliter les expérimentations en vie réelle via des dispositifs tels que l’Article 51.
- Intégrer dans les instances d’évaluation des experts du numérique
- Accompagner les acheteurs publics dans leur montée en compétence sur le numérique en santé.
- Encourager les partenariats publics-privés plus agiles : s’inspirer du modèle “Buy and Build” des Pays-Bas où les hôpitaux s’engagent comme premiers clients, avant même que la solution soit complètement industrialisée.
- Former les professionnels de santé à la culture numérique qui reste un frein récurrent à l’adoption des solutions
Portées par une véritable dynamique d’innovation, les start-up santé françaises restent entravées par des verrous structurels. Si la volonté politique existe, elle doit désormais s’accompagner de réformes concrètes pour transformer la promesse de la santé numérique en véritable levier de transformation du système de soins.
Rémy Teston
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