Accueil A la une[Chronique] Docentrepreneurs : ces soignants qui innovent, nouvelle force vive du numérique santé

[Chronique] Docentrepreneurs : ces soignants qui innovent, nouvelle force vive du numérique santé

par Rémy Teston

Au cours de l’Université de la e-santé organisée par Castres-Mazamet Technopole, j’ai eu le plaisir d’organiser et animer une session consacrée aux Docentrepreneurs avec le témoignage de plusieurs soignants qui se sont lancés dans l’entreprenariat et le numérique santé. Des échanges qui m’ont inspiré cette chronique.

Ils rédigent des prescriptions le matin, codent ou pitchent leur start-up l’après-midi, et jonglent avec des astreintes tout en conduisant une levée de fonds. Ils évoluent entre salle de consultation et incubateurs, entre urgences et rendez-vous investisseurs. On les appelle les docentrepreneurs : ces médecins, infirmiers, kinésithérapeutes ou pharmaciens qui créent des solutions innovantes tout en poursuivant leur activité clinique.

Loin d’être un phénomène marginal, ce mouvement devient l’un des marqueurs les plus dynamiques de l’écosystème healthtech. Car il réconcilie deux univers qui trop longtemps s’ignoraient : la réalité du soin et la logique d’innovation. Pendant des années, l’innovation en santé a souffert d’une déconnexion. Des start-up imaginaient des solutions séduisantes mais mal adaptées à la pratique clinique. Les soignants, eux, subissaient des outils mal conçus, pensés « contre » leur quotidien plus que « pour » leurs besoins.

Les docentrepreneurs changent la donne. Parce qu’ils vivent les irritants au quotidien, ils conçoivent des technologies qui répondent à des problèmes réels : une perte de temps, un manque d’information, une coordination impossible, un suivi patient insuffisant. Leur force : ils savent ce qui ne fonctionne pas et ils savent pourquoi. Leur intuition est clinique avant d’être technologique. Ils n’innovent pas par mode, mais par nécessité.

Si les docentrepreneurs se multiplient, c’est aussi parce que le système de santé traverse une tension historique : manque de soignants, explosion des malades chroniques, pression administrative, besoin de coordination. Pour beaucoup, entreprendre n’est plus un choix, mais une manière d’agir.

Ils ne veulent plus être seulement témoins de la crise, mais contributeurs à sa résolution. Ils imaginent de nouveaux outils de télésurveillance, de prise de rendez-vous, de rééducation, de formation, de coordination interprofessionnelle, ou encore des solutions d’IA clinique. Et surtout, ils innovent sans renoncer à soigner, ce qui leur donne une crédibilité unique auprès des hôpitaux, des patients et des pairs.

Le docentrepreneur n’est pas seulement un soignant qui crée une start-up. C’est un professionnel qui développe des compétences multiples :

  • compréhension des usages et des contraintes cliniques
  • vision systémique du parcours patient
  • culture de la donnée
  • capacité à prototyper, tester, réajuster
  • aptitude à convaincre les investisseurs, les directions d’hôpitaux et les autorités sanitaires

Cette double casquette donne naissance à des profils rares, capables de parler deux langages à la fois : celui de la médecine et celui de l’innovation.

L’équilibre est difficile. Le risque d’épuisement est réel. Beaucoup de docentrepreneurs travaillent le soir, les week-ends, entre deux gardes. L’enjeu du temps, du financement et du soutien institutionnel est souvent sous-estimé. Mais ils sont aussi moteurs d’un changement culturel essentiel :

  • ils réhabilitent la créativité médicale,
  • ils rappellent que l’innovation peut venir du terrain,
  • ils montrent que l’on peut soigner et entreprendre sans trahir l’éthique,
  • ils insufflent une nouvelle dynamique dans un système parfois englué.

Les institutions commencent à suivre. Hôpitaux universitaires, ARS, incubateurs territoriaux, structures comme PariSanté Campus ou des programmes accélération spécialisés commencent à identifier et soutenir ces profils. Le ministère de la Santé, la HAS ou encore la CNAM s’ouvrent davantage à leurs retours de terrain.

Les docentrepreneurs deviennent ainsi de véritables passeurs entre les mondes :
les besoins cliniques → l’innovation → la régulation → la mise en pratique.

Sans eux, bien des projets resteraient théoriques. Grâce à eux, ils deviennent utilisables.

À l’heure où la santé numérique réclame plus que jamais du sens, de la pertinence et de l’impact, les docentrepreneurs apparaissent comme une force centrale de transformation.
Ce ne sont pas seulement des innovateurs. Ce sont des praticiens qui réinventent la médecine de l’intérieur.

Et si l’avenir de la healthtech dépendait moins de la puissance des technologies que de ceux qui les portent ? Les docentrepreneurs incarnent cette évolution : des soignants qui soignent… et qui transforment. Une chose est sûre : ce mouvement ne fait que commencer.

Rémy Teston

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