Régulièrement, je vous propose de partir à la rencontre d’un acteur ou d’une innovation du digital santé en France. Aujourd’hui, partons à la rencontre de François Gaudemet, Président Johnson & Johnson MedTech France, pour parler d’innovation.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous rapidement vous présenter ?
Bonjour Rémy, je suis ingénieur de formation. Après un passage dans le développement industriel, je me suis tourné assez naturellement vers les industries de santé et le dispositif médical qui me paraissaient au confluent de ma passion pour l’ingénierie et du monde de la santé.
Cela fait maintenant presque 16 ans que je suis dans le groupe Johnson & Johnson dans lequel j’ai occupé des fonctions variées de vente, marketing, supply chain, business development et puis enfin de management de business unit. J’ai fait l’expérience de toutes les catégories de produits du portefeuille J&J MedTech au cours de ces années dans différents pays, en Europe de l’Est à Varsovie au Moyen Orient basé à Dubaï puis en Suisse dans le Canton de Zurich.
Depuis l’été dernier, j’occupe le poste de Président de l’entité J&J MedTech en France.
L’innovation est dans l’ADN de J&J MedTech. Pouvez-vous nous dresser un rapide panorama des activités de J&J MedTech en France ?
Avant toute chose, il est important de rappeler que Johnson & Johnson est un groupe de santé qui s’est recentré sur 2 activités : la pharma (Janssen) et les dispositifs médicaux (J&J MedTech) avec la volonté de servir les patients dans des aires thérapeutiques identifiées et d’avoir un positionnement plus clair en termes de vision stratégique. J&J, c’est un groupe qui a maintenant plus de 135 ans, qui fait près de 100 milliards de chiffre d’affaires dont environ 15% sont consacrés en Recherche et Développement dans un objectif d’innovation constante.
Côté J&J MedTech, 4 grands domaines d’activité :
- la chirurgie générale avec Ethicon
- l’orthopédie avec DePuy Synthes
- le cardiovasculaire avec Biosense Webster
- la contactologie, la santé de l’œil avec J&J Vision
Notre activité est donc centrée sur le bloc opératoire et nous nous intéressons à des pathologies comme l’obésité, le cancer (en particulier du poumon et du côlon) mais aussi les maladies cardiovasculaires, les anévrismes et les Accidents Vasculaires Cérébraux.
Ajoutons que l’innovation est au cœur de notre ADN : on existe parce qu’on innove. On propose à la fois des produits et des services de santé dans un contexte où les modèles d’innovation sont en train de changer. Nous faisons beaucoup d’investissement R&D avec de l’innovation organique mais aussi des acquisitions et des partenariats externes.
L’enjeu est d’aller vers une chirurgie plus intelligente, moins invasive et plus personnalisée, de la chirurgie ouverte, laparoscopique vers la chirurgie robotique voire la chirurgie sans incision potentiellement dans le futur.
Pour illustrer cette stratégie d’innovation, avez-vous des projets ou initiatives à nous présenter ?
L’une de nos forces, c’est que nous sommes un groupe de santé qui s’appuie sur 2 entités : le médicament et le dispositif médical. Stratégiquement, nous sommes convaincus que nous aurons une convergence future de ces 2 activités avec de plus en plus de synergies dans les produits et services proposés. A titre d’exemple, nous travaillons déjà en synergie sur le cancer du poumon.
Parmi toutes les innovations que nous proposons, je citerais le lancement d’une plateforme robotique en orthopédie pour laquelle nous sommes en cours d’obtention du marquage CE. Cette technologie française, développée par la start-up Orthotaxy qui a rejoint le groupe en 2018, est commercialisée aux Etats-Unis avec un grand succès et arrive en Europe d’ici la fin de l’année. Cette plateforme permet d’accompagner le chirurgien dans la chirurgie du genou et d’améliorer le résultat clinique grâce notamment à son guidage dans les coupes osseuses permettant un meilleur respect de la géométrie du squelette.
Autre technologie que nous accompagnons depuis plusieurs années, Visible Patient qui propose une solution d’imagerie avancée permettant la reconstitution en 3D de l’anatomie du patient pour bien préparer la chirurgie. Cette reconstitution 3D est effectuée à partir d’images 2D scanner ou IRM. Cela permet d’éviter des surprises lors de l’intervention chirurgicale et d’éventuelles complications. Aujourd’hui, nous avons une belle dynamique de déploiement en chirurgie thoracique (cancer du poumon), en hépato-biliaire ou en colorectal, en France et à l’international.
Le monde de la chirurgie et du bloc opératoire est en perpétuelle évolution avec l’apport de nombreuses innovations technologiques. En tant qu’acteur majeur de ce domaine, comment analysez-vous cette évolution ?
La transformation digitale dans le monde de la santé est plus longue que dans d’autres secteurs, elle est pourtant capitale en particulier au bloc opératoire et être au cœur de cette révolution est une vraie chance.
Je suis enthousiaste face à cette transformation multidimensionnelle qui va bénéficier à l’ensemble des acteurs et en particulier aux chirurgiens : une meilleure qualité d’information et de gestion des données, des outils d’aide à la décision avant et lors des interventions, un confort et une meilleure qualité de vie au travail pour lui et son staff, une diminution des risques et complications et une meilleure gestion de la prise en charge du patient notamment dans le suivi post-opératoire.
Pour le patient, les innovations technologiques lui permettent d’être plus impliqué dans son parcours de soins, mieux informé et de bénéficier d’une meilleure coordination des équipes médicales. L’utilisation d’outils numériques et robotiques permet d’améliorer la qualité des soins et les résultats cliniques. Cette transformation digitale va également dans le sens d’une diminution du temps d’hospitalisation avec plus d’ambulatoire permettant aux patients une récupération plus rapide.
Ces nouveaux modèles invitent tous les acteurs à se réinventer : le patient dans son parcours de soin, le chirurgien dans la prise en charge du patient, l’établissement dans son modèle organisationnel et l’industriel dans son engagement auprès des établissements.
L’innovation dans le monde de la santé est très présente en France, notamment sur le volet technologique, mais se heurte à un certain nombre de difficultés. Quel est votre regard sur ces difficultés rencontrées ?
C’est justement l’objet d’un Manifeste que nous avons rédigé, en concertation avec les établissements de santé, qui analyse les raisons pour lesquelles il est si compliqué de mettre en place cette transformation dans le monde de la santé. Nous avons identifié plusieurs freins.
Tout d’abord, c’est un secteur très complexe avec énormément d’acteurs et donc un problème de gouvernance : comment s’organiser ? Comment parvient-on à casser certains silos ? Qui prend les décisions ? Qui gère la logistique ? L’hétérogénéité des acteurs et aussi la façon dont ils abordent ces sujets est un frein.
Autre frein auquel nous sommes confrontés : les enjeux de sécurité, face notamment à la cyber malveillance. Si elle est bien sûr nécessaire, cette exigence de sécuriser les établissements de santé génère également des freins à l’adoption des solutions digitales proposées.
Bien sûr il y a le sujet de l’interopérabilité des différents systèmes. Aujourd’hui les établissements hospitaliers et les industriels doivent réfléchir ensemble à l’adoption des plateformes de demain qui permettront cette interconnexion.
Le régulateur a d’ailleurs un rôle à jouer pour s’assurer que tout le monde n’aille pas de sa solution. Nous rencontrons aujourd’hui des difficultés face à l’éclatement des approches dans les différents pays européens. Ce sujet doit être porté au niveau européen pour avoir une approche et des normes communes.
Nous nous heurtons aussi à des problématiques alliées à la régulation et au financement. Le MDR notamment (règlement relatif aux dispositifs médicaux) au niveau européen, nous questionne sur le lancement de dispositifs médicaux numériques : le marquage est-il similaire aux dispositifs médicaux non connectés ou induit-il d’autres contraintes et considérations ? A cela s’ajoute en France le système des actes où il faut s’intégrer à une codification dont le rythme n’est pas adapté à celui de l’innovation.
Au niveau du financement, nous avons aussi de grosses contraintes avec des clauses de sauvegarde, des révisions de prix comme dans l’industrie pharmaceutique. L’accès au marché devient de plus en plus onéreux pour l’ensemble des industriels.
Selon vous, que faut-il mettre en place pour rendre la France plus attractive et encourager l’innovation ?
La France est attractive pour ses talents au niveau des ingénieurs et des médecins, pour ses écosystèmes d’innovation très dynamiques. On le voit au sein de J&J avec l’intégration au niveau du groupe de plusieurs technologies françaises. C’est d’ailleurs peut-être en France qu’on construit la chirurgie de demain.
Là où nous devons porter nos efforts, c’est sur la question du financement, où nous faisons face à une dichotomie entre les aspects purement développement, innovation et l’aspect accès au marché.
J&J souhaite investir dans un pays où l’accès au marché est plus simple. Il existe aussi un enjeu plus large autour du financement de l’innovation : beaucoup de créations de start-ups qui vont jusqu’au proof of concept et qui sont ensuite en difficulté dans la recherche de financement dans un contexte où les levées de fonds sont compliquées.
Même si nous avons un écosystème d’innovation très fort en France, la capacité des établissements de santé à s’organiser pour porter cette innovation, faire des pilotes et la déployer à grande échelle, est fondamentale. Il reste cependant beaucoup de questionnements et de solutions à mettre en place en matière de gouvernance, d’acculturation des équipes médicales, d’organisation etc…
On parle de plus en plus de l’impact environnemental de la santé ou du numérique. Quelle est la position de J&J MedTech face à ces enjeux environnementaux ?
Il y a une véritable prise de conscience collective du besoin d’agir dans ce domaine au sein du groupe. Nous avons de plus de clients ou de collaborateurs qui portent individuellement ce sujet.
Nous avons un rôle à jouer dans le respect des accords de Paris et nous mettons des actions en place pour réduire notre impact environnemental :
- utilisation d’une électricité 100% renouvelable sur l’ensemble de nos sites notamment de production
- un objectif de neutralité carbone d’ici 2030 pour nos opérations puis sur l’ensemble de notre chaîne de valeur d’ici 2045
Cela a inévitablement un impact sur la manière dont nous concevons nos produits et solutions, sur le recyclage de certains de nos dispositifs médicaux à usage unique, le tri des batteries et des matériaux et bien sûr sur toute la chaîne logistique. Cette transformation prend du temps mais est aujourd’hui nécessaire. Nous sommes également de plus en plus exigeants sur cet aspect avec nos fournisseurs.
Pour conclure et revenir sur ce sujet de l’innovation, la Délégation du Numérique en Santé vient de dévoiler une nouvelle feuille de route du numérique en santé axée sur la prévention et l’accès au soin. Quel est votre regard sur cette structuration de la e- santé en France ?
La gouvernance qui se met en place, les nouveaux modes de financement qui sont explorés, la création de l’Agence de l’Innovation en santé ou du Health Data Hub sont des initiatives nécessaires et prometteuses pour la e-santé en France.
L’une des promesses du numérique en santé et des solutions digitales, c’est une meilleure compréhension du parcours du patient. C’est aussi une prise en charge holistique avec des parcours de soins optimisés à l’hôpital, en ambulatoire et en ville et un modèle qui intègre dans ses pratiques la mesure des résultats qui importent au patient pour in fine, une meilleure expérience patient.
Pour en savoir plus sur Johnson & Johnson MedTech : https://www.jnjmedtech.com/fr-FR
Interview réalisée en partenariat avec Johnson & Johnson MedTech
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