Régulièrement, je vous propose de partir à la rencontre d’un acteur du digital santé en France.
Aujourd’hui, partons à la rencontre de Chanfi Maoulida (chanfimao), Chef de projet Digital à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et créateur du site Hôpitalweb 2.0.
Bonjour Chanfi. Peux-tu te présenter brièvement ?
Bonjour Rémy, et un grand merci de me donner l’opportunité de parler d’une passion.
Je livre ici un point de vue tout à fait personnel, qui n’engage que moi, sur la manière dont je vis et observe l’arrivée de l’hôpital 2.0. Je travaille à l’AP-HP comme chef de projet stratégie digitale et en parallèle, je mène une activité d’une part de veille et d’autre part de militant sur l’entrée des nouvelles technologies à l’hôpital public.
Un peu geek, WordPress addict et concepteur de projet web depuis plus de 10 ans, j’expérimente et propose des solutions digitales pour l’AP-HP. J’exerce un nouveau métier qui n’a pas encore trouvé sa place dans la grille de lecture institutionnelle, aux confluences de l’informatique, du web, de la communication et du service à l’usager. C’est en effet une approche guidée par l’usage et non par la technique.
J’ai commencé par la recherche clinique en accompagnant et en réalisant le déploiement du projet SiGAPS initié au CHRU de Lille, au sein des 37 hôpitaux de l’AP-HP. C’est un projet dédié au recensement, à l’évaluation et la valorisation des publications scientifiques des 15 000 médecins de l’AP-HP. Cela fut à l’époque une révolution.
Ce projet a constitué un déclic et m’a fait basculer du côté obscur de la force de l’hôpital 2.0. Je me suis ensuite intéressé aux usages du web dans le secteur public et sur la place des nouvelles technologies dans le déploiement d’un système d’information.
Mon dernier projet en date est la conception et le déploiement des nouveaux portails internet des hôpitaux de l’AP-HP basée sur la technologie WordPress. Ce projet a été construit en étroite collaboration avec les hôpitaux à partir de leurs propres besoins. Le web 2.0 a permis de travailler en mode agile, itératif, pragmatique et rapide. C’est un projet qui évolue perpétuellement en fonction des attentes et du feedback des utilisateurs.
Peux-tu nous dire quelques mots sur Hôpitalweb 2.0 et sa nouvelle version ?
Au vu de l’évolution rapide entourant l’Internet santé, que ce soit en termes technologiques ou de contenus informationnels, il m’a semblé opportun de créer ce concept de veille collaboratif afin d’identifier les manques et de détecter les tendances émergentes.
Hopitalweb2.com se caractérise par l’instantanéité, la facilité d’échange de l’information, l’interactivité, la collaboration et l’esprit communautaire.
La cible principale de ce site est constituée de tous les acteurs d’un projet web au sein d’un hôpital ou de tout établissement public de santé. Il s’adresse aussi à tout professionnel de santé susceptible de rechercher des informations en temps réel sur l’e-santé.
C’est un agrégateur de contenu santé. Il sert autant sa cible que sa cible lui sert. C’est un laboratoire de test virtuel et un champ d’expérimentation, je le fais évoluer en permanence en fonction des tendances.
Hopitalweb2.com constitue une première tentative au sein de l’hôpital public pour comprendre et mieux appréhender les nouveaux défis de l’e-santé. Il s’attache à rendre visible le développement de ce secteur d’activité qui doit être vu comme un secteur de croissance porteur d’innovations et d’opportunités d’excellence.
C’est un projet au service de l’innovation et qui permet :
- l’accès aux nouvelles idées qui fonctionnent et à leur appropriation par l’hôpital
- l’observation de l’évolution dynamique des échanges autour de l’e-santé et de l’hôpital en particulier
- la mesure immédiate de la vitalité des sujets e-santé dans le monde…
Le concept d’hopitalweb2.0 s’inscrit dans une démarche volontariste et novatrice pour apprivoiser ces nouveaux mondes.
Observateur du digital santé, quel regard portes-tu sur la transformation digitale des hôpitaux ?
Le digital impacte profondément l’hôpital public et provoque d’importantes modifications sur la façon de communiquer. On constate que les patients se regroupent en communautés ou utilisent les réseaux sociaux pour trouver des informations sur l’hôpital, le service ou le médecin. Internet est ou sera au centre de l’activité quotidienne de l’hôpital. Cette évolution exige la recherche d’un nouveau modèle d’interaction entre l’hôpital, les patients et les professionnels de santé.
Je suis convaincu que le secteur public peut innover sur le digital sans forcement se lancer dans des projets couteux et trop longs. J’observe depuis la publication des nouveaux portails internet, un changement de comportement et une meilleure compréhension des enjeux. J’assiste de plus en plus à l’émergence de nouveaux besoins pour les hôpitaux en termes de prise de rendez-vous en ligne, pré-admissions, paiement en ligne, numérisation des données de santé, dématérialisation des dossiers et même d’applications mobiles…
Ces e-services constitueront une nouvelle forme de services marketing, avec un avantage de coût et de pénétration qui sera supérieur aux pratiques actuelles. La transformation digitale est un levier pour promouvoir une culture de l’engagement de service. D’ailleurs, l’hôpital doit impérativement comprendre les ressorts de la personnalisation du web 2.0 et cela lui ouvre des perspectives en matière de propositions d’offres ou de services annexes.
Il me semble qu’une nouvelle organisation est alors à construire pour mieux analyser les données recueillies, pour mieux cibler la communication ou pour mieux orienter les patients. L’hôpital devra se mettre en capacité d’apporter des réponses au patient et à l’usager dans un délai « contractuel ».
Pour finir, comment vois-tu évoluer l’e-santé dans les années à venir en France, et plus spécifiquement au sein de l’hôpital ?
Dans le domaine de la santé et de l’hôpital en particulier, une (r)évolution est en marche. Cela induit que l’hôpital public est contraint de s’adapter aux exigences économiques mais aussi d’innover en termes d’offres. Il doit imaginer les outils web qui correspondent à sa culture et à son contexte socio-économique. Il se servira des nouvelles technologies mais aussi de l’open data pour continuer à contribuer à l’équité dans l’accès aux soins et à préserver sa mission de service public.
L’e-santé ne saurait constituer une fin en soi mais un moyen parmi d’autres pour contribuer à améliorer la prise en charge des patients. La technologie ne doit en effet pas se substituer au contact humain.
A mon sens, l’e-santé offre une nouvelle opportunité à l’usager du service public hospitalier : celle de choisir sans restriction ses services, ses contacts ou contenus. Ce qui constitue un véritable changement et un défi pour l’hôpital public. Là où par exemple l’offre de soins s’avérait intangible et structurée par l’hôpital dans le passé, elle devient flexible et peut être adaptée en fonction des cibles visées. Le patient est en attente de nouveaux services, notamment destinés à rompre son isolement à domicile et à lui éviter les déplacements inutiles.
Je pense qu’il faut capitaliser sur les réalisations du terrain pour impulser et légitimer des réorganisations qui mettent le patient au centre de son parcours de soins. Il est nécessaire de mettre en œuvre des solutions souples, évolutives et réactives. Il faut réserver les moyens financiers disponibles pour investir dans ce qui « fait la différence ».
Je crois que l’hôpital public est capable de se renouveler rapidement et de saisir les opportunités apportées par l’e-santé ou par l’open data pour proposer des offres innovantes. Cependant la réussite de tels projets nécessite de mettre en œuvre une démarche graduelle et intelligente qui prend en compte les objectifs, les outils et la culture de “l’hôpital public”.
Je ne peux terminer cette interview sans remercier l’équipe de choc qui m’accompagne et qui participe activement sur ces projets depuis quelques années : Stéphanie Gros et Apolline Weber. Un petit clin d’œil à Loubna Slamti et à tous les apprentis que nous accueillons tous les deux ans.
Rien ne change, tant qu’on ne change rien.
Pour aller plus loin : hopitalweb2.com, @chanfimao, http://www.scoop.it/u/chanfimao
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