Inscrit dans le cadre de la stratégie européenne pour le numérique, l’Espace européen des données de santé entre en scène avec une promesse forte : faire circuler les données de soins à l’échelle de l’UE tout en sécurisant leur réutilisation pour la recherche et l’innovation. Décryptage.
L’Union européenne tient enfin son cadre commun pour faire circuler les données de santé. Le règlement relatif à l’Espace européen des données de santé (EEDS) a été publié au Journal officiel de l’UE le 5 mars 2025 et est entré en vigueur le 26 mars 2025. Ce texte inaugure le premier « espace de données » sectoriel de la stratégie numérique européenne, avec une ambition claire : renforcer les droits des citoyens, fluidifier le soin transfrontalier et sécuriser la réutilisation des données à des fins de recherche, d’innovation et de politiques publiques.
La France soutient la démarche et prépare activement son déploiement opérationnel. Pour les décideurs, l’enjeu est désormais de passer de l’intention à l’implémentation, en mesurant les bénéfices attendus comme les défis très concrets de conformité, d’interopérabilité et de sécurité.
Au cœur du dispositif, l’EEDS organise deux grands volets
Le premier concerne l’usage primaire des données dans le parcours de soins. L’infrastructure MyHealth@EU devient la colonne vertébrale des échanges entre États membres : un professionnel de santé doit pouvoir accéder, dans sa langue, aux informations clés d’un patient pris en charge, quelle que soit sa résidence en Europe, pour une continuité de soins sans couture.
En France, l’Agence du Numérique en Santé (ANS) tient le rôle de point de contact national et opère le service Sesali, déjà capable de présenter aux soignants la synthèse médicale d’un patient européen ; une API permet en outre d’intégrer ce service dans les logiciels métiers. C’est une marche décisive vers l’européanisation des flux cliniques et une exigence accrue d’interopérabilité sémantique et technique pour les éditeurs.
Le second volet traite l’usage secondaire des données pour la recherche, l’innovation, l’évaluation des politiques et la santé publique. Le règlement crée un guichet unique dans chaque État membre, le Health Data Access Body (HDAB), chargé d’instruire les demandes, de délivrer les autorisations et de mettre les données à disposition dans des environnements sécurisés, sous forme anonymisée ou pseudonymisée.
La Commission européenne pilote en parallèle l’infrastructure commune HealthData@EU et finance un pilote transfrontalier réunissant 17 partenaires de neuf pays, dont des agences européennes et des infrastructures de recherche. L’objectif est de relier les HDAB, d’éprouver les « services socles » et de tester des cas d’usage de recherche à l’échelle européenne. Pour les détenteurs de données, l’obligation de mise à disposition s’accompagne d’un régime de redevances et de garanties sur la propriété intellectuelle et le secret des affaires ; pour les personnes, le texte renforce l’information et la possibilité de s’opposer à certains réemplois, tout en exigeant une souveraineté stricte des traitements sur le territoire de l’UE.
L’EEDS n’est pas qu’un réseau. C’est aussi un marché régulé des solutions logicielles. Les éditeurs de dossiers médicaux électroniques et les fabricants de dispositifs médicaux interconnectés entrent dans un régime d’auto-certification européenne assorti d’exigences d’interopérabilité, de traçabilité des accès et d’épreuves en environnement de test, sous la surveillance d’une autorité nationale de marché. Autrement dit, l’accès au marché européen s’adosse à un socle commun et vérifiable, conçu pour réduire la fragmentation et hausser les standards de qualité et de sécurité. Pour les industriels, l’agenda de conformité devient structurant ; pour les acheteurs publics et privés, il fournit des repères concrets dans les appels d’offres.
La gouvernance se joue à deux niveaux
Au plan européen, la Commission doit adopter des actes d’exécution qui préciseront modèles de demande et d’autorisation d’accès, spécifications des espaces de traitement sécurisés, description des catalogues d’ensembles de données, critères du label « qualité et utilité » ou modalités de développement technique des infrastructures MyHealth@EU et HealthData@EU.
Au plan national, chaque État désigne une autorité de santé numérique et une autorité de surveillance des marchés, organise son ou ses HDAB et met en musique l’articulation entre EEDS et droit interne. La France a confié à la Délégation au numérique en santé (DNS) la coordination des travaux et inscrit l’EEDS dans sa stratégie 2025-2028 sur l’IA et les données de santé, en s’appuyant sur les acquis du Ségur numérique et des référentiels portés par l’ANS.
Pour les écosystèmes hospitaliers, libéraux et industriels, les opportunités sont tangibles
Côté soins, la promesse est celle d’un accès effectif, sécurisé et multilingue aux informations essentielles du patient partout en Europe, limitant les examens redondants et améliorant la sécurité des prescriptions. Côté recherche et innovation, l’existence d’un guichet unique, de délais encadrés et d’un cadre harmonisé pourrait réduire les frictions administratives et accélérer l’émergence de projets à forte valeur ajoutée, notamment en IA, pharmaco-épidémiologie et santé publique, sur des bases plus larges et mieux documentées.
La mobilisation collective de l’écosystème français le 30 septembre à l’initiative de la DNS a d’ailleurs consacré l’EEDS comme un levier d’harmonisation, en résonance avec d’autres textes majeurs comme NIS2, le Cyber Resilience Act et eIDAS, qui poussent à une montée en gamme généralisée de la cybersécurité et de la confiance numérique.
Ces promesses s’accompagnent de défis considérables
La première exigence est l’interopérabilité, qui n’est pas qu’une question de format mais de qualité sémantique et de complétude des données côté producteurs, sous peine de transfrontalier « théorique ». Vient ensuite la capacité des établissements et éditeurs à absorber le calendrier d’auto-certification et les exigences d’auditabilité sans pénaliser l’ergonomie des outils en production.
La sécurité opérationnelle sera scrutée, car multiplier les points d’échange impose de renforcer la résilience des systèmes, du poste de travail à l’hébergement, dans un cadre cohérent avec NIS2 et le programme CaRE piloté par l’ANS.
Enfin, l’acceptabilité sociale suppose un effort exemplaire d’information des citoyens sur leurs droits, l’explication des finalités de réutilisation et une transparence accrue sur les jeux de données disponibles, leurs conditions d’accès et les résultats produits. Sans cette pédagogie, la réutilisation pourrait buter sur la défiance, alors même que le règlement encadre les traitements, impose des environnements sécurisés et garantit la maîtrise européenne des données.
Le tempo politique et réglementaire va compter
L’entrée en vigueur est acquise, mais l’effectivité dépendra des actes d’exécution européens et des désignations nationales, ainsi que des consultations techniques en cours, notamment sur les spécifications communes pour l’usage secondaire et sur les formats européens d’échange de DME. La France a annoncé sa volonté d’anticiper et de capitaliser sur ses dispositifs existants, à commencer par Mon Espace Santé, l’Identifiant National de Santé et Pro Santé Connect, tout en raccordant progressivement Sesali aux logiciels métiers et en préparant le HDAB et la contribution au réseau HealthData@EU. Pour les directions d’établissements, les industriels et les start-up, c’est le moment d’aligner feuilles de route, preuves de conformité et politiques de données avec les nouveaux standards européens.
L’EEDS ouvre la voie d’une santé plus connectée, plus sûre et plus propice à l’innovation. Il impose aussi un changement d’échelle dans la gouvernance des données, la cybersécurité, l’éthique et la souveraineté. À court terme, les priorités pour les acteurs français sont claires : fiabiliser les socles d’interopérabilité, sécuriser les chaînes de traitement, industrialiser l’accès transfrontalier au soin et préparer des cas d’usage de réutilisation à forte valeur clinique et sociétale. À moyen terme, c’est la capacité à faire émerger un véritable marché unique des solutions numériques de santé, soutenu par la confiance des citoyens, qui dira si l’Europe réussit son pari.
Sources : Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles ; Agence du Numérique en Santé
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