Accueil A la une [Chronique] Téléconsultation en France : un potentiel inexploité malgré les besoins

[Chronique] Téléconsultation en France : un potentiel inexploité malgré les besoins

par Rémy Teston

La Cour des Comptes a publié il y a quelques jours un rapport complet sur les usages de la téléconsultation en France et sa « non » intégration dans le système de santé. Décryptage d’une révolution annoncée freinée dans son déploiement.

La téléconsultation médicale, après avoir connu un essor fulgurant pendant la crise du Covid-19, stagne aujourd’hui à des niveaux bien inférieurs aux attentes initiales. C’est ce que révèle un rapport de la Cour des comptes publié ce mois-ci, qui dresse un constat sévère sur l’intégration de cet outil dans le système de santé français.

Dans ce rapport, les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 18 millions d’actes en 2020, le nombre de téléconsultations est retombé à 12 millions en 2023, représentant à peine 2% de l’ensemble des actes médicaux en France. Un chiffre bien en-deçà des pratiques observées dans d’autres pays européens, notamment au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves. « La France dispose pourtant de tous les atouts pour développer massivement la téléconsultation : infrastructure technique, financements dédiés et besoins territoriaux avérés », souligne le rapport. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous.

L’un des problèmes majeurs identifiés réside dans le manque d’adhésion du corps médical. De nombreux praticiens continuent d’exprimer des réserves quant à l’efficacité diagnostique des consultations à distance. Le rapport souligne que les communautés professionnelles de territoire, les maisons de santé pluriprofessionnelles ou les hôpitaux de proximité sont trop peu impliqués. Par ailleurs, l’organisation territoriale autour de cet outil reste déficiente : seules 37 organisations étaient référencées pour gérer les exceptions au parcours de soins en septembre 2024, laissant près des trois quarts des départements sans structure dédiée.

Le rapport met également en lumière un autre paradoxe : alors que la téléconsultation devait prioritairement bénéficier aux zones sous-dotées en médecins et aux populations vulnérables, ce sont majoritairement des patients jeunes, urbains et connectés qui y ont recours.

Le paradoxe est encore plus criant quand on regarde le profil moyen du patient téléconsultant : jeune, urbain, très connecté. Les zones prioritaires, les personnes âgées, ou les malades chroniques  — tous identifiés comme cibles privilégiées de la télémédecine — sont largement absents du paysage. Même les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou les établissements pénitentiaires, pourtant concernés par des politiques d’équipement, restent en retrait. Il ne suffit donc pas d’avoir l’outil : encore faut-il en faciliter l’usage, l’intégrer aux pratiques de terrain et garantir sa pertinence. « Les personnes âgées, les malades chroniques et les détenus, pourtant identifiés comme cibles privilégiées, restent largement absents du dispositif », précise la Cour des comptes.

Sur le plan financier, la téléconsultation représente une part minime des dépenses de santé : 266 millions d’euros en 2023, soit 3% des montants remboursés pour les consultations médicales. Le rapport estime toutefois que cet outil pourrait générer des économies substantielles, notamment en évitant certains passages aux urgences – plus de 100 millions d’euros d’économies potentielles par an. « Le système actuel ne permet pas d’exploiter pleinement ces gains d’efficience », déplore la Cour des comptes.

Pourquoi un tel gâchis ? L’un des principaux freins identifiés tient à l’absence d’une stratégie claire. Qui pilote ? Quels objectifs poursuit-on ? Quelle place veut-on donner à la téléconsultation dans le parcours de soins ? Ces questions restent sans réponse tranchée. Le ministère de la Santé n’assume pas pleinement un rôle de chef d’orchestre, et les indicateurs de performance sont trop flous pour orienter l’action. Résultat : chacun avance en ordre dispersé, et les initiatives locales, parfois innovantes, peinent à être généralisées.

La principale critique formulée par les magistrats financiers concerne l’absence d’une gouvernance définie et d’objectifs précis. Le ministère de la Santé n’assumerait pas pleinement son rôle de pilotage, laissant les initiatives locales se développer sans cohérence d’ensemble.

Quant au cadre juridique, il oscillerait « entre rigueur excessive et assouplissements timides », freinant l’expérimentation tout en cherchant à éviter les dérives, notamment celles de certaines plateformes commerciales accusées de prescription excessive. La Cour des comptes appelle d’ailleurs à reconsidérer certaines règles, comme la condition d’absence de médecin traitant pour autoriser la téléconsultation dans les zones prioritaires, ou encore à élargir le plafond d’activité autorisée en téléconsultation pour les médecins retraités.

Des assises de la téléconsultation sont annoncées pour l’été 2025. L’occasion, selon la Cour des comptes, de repenser en profondeur l’intégration de cet outil dans le système de santé français. Parmi les pistes évoquées : reconsidérer certaines règles restrictives, comme la condition d’absence de médecin traitant pour accéder à la téléconsultation dans les zones prioritaires, ou encore élargir le plafond d’activité autorisée pour les médecins retraités pratiquant la télémédecine. « L’enjeu n’est plus de considérer la téléconsultation comme une solution de secours pour périodes exceptionnelles, mais bien comme un maillon essentiel du système de santé au service de l’équité territoriale », conclut le rapport.

La France ne peut plus se contenter de regarder la téléconsultation comme un simple filet de sécurité pour périodes exceptionnelles. Elle doit devenir un maillon fort du système de santé, au service de l’équité territoriale et de l’efficience. Encore faut-il l’intégrer pleinement, l’encadrer intelligemment et l’orienter avec ambition. L’outil est là. Reste à s’en emparer pour en faire une solution durable, équitable et responsable.

Rémy Teston

 

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