Régulièrement, je vous propose de partir à la rencontre d’un acteur du digital santé en France. Aujourd’hui, partons à la rencontre de Catherine Cerisey, patiente experte et co-fondatrice de l’agence Patient & Web.
Bonjour Catherine. Peux-tu te présenter brièvement ?
Bonjour Rémy et merci de cette interview.
Je suis une ancienne patiente, diagnostiquée en 2000 d’un cancer du sein dont j’ai rechuté deux ans plus tard. J’ai donc eu un parcours long et éprouvant. En 2009, j’ai créé un blog d’information sur la maladie et pendant 8 ans j’y ai apporté mon regard, parfois impertinent, sur le cancer. Ce blog, je l’ai ouvert à mon nom, à une époque où le cancer était encore honteux (« une longue et douloureuse maladie »), ce qui a été probablement mon premier acte militant. Très vite, j’ai été approchée par des médias traditionnels qui regardaient d’un œil curieux ces blogueurs émergents et par des organisateurs de colloques sur la e-santé en tant que e-patiente très investie sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, LinkedIn et plus récemment Instagram).
Parallèlement, j’ai été contactée par des Institutions comme la Haute Autorité de Santé ou l’INCa qui voyaient l’intérêt de ces importantes communautés de patients créées sur Internet mais ne savaient pas comment recueillir cette parole. Je me suis rendue compte de l’importance de rentrer dans des associations de patients pour aller plus loin. Je suis devenue Vice-Présidente de Cancer Contribution, qui œuvre dans le champ de la démocratie en santé et administratrice d’Europa Donna, branche française d’une coalition européenne qui lutte contre le cancer du sein. J’y ai appris et j’apprends encore énormément. J’ai pu ainsi intégrer des commissions plus institutionnelles (HAS, Ministère de la Santé, Unicancer….).
En 2012, consciente qu’il y avait beaucoup de choses faites pour les patients sans les patients, j’ai co-créée une agence de conseil en santé qui apporte la perspective patients aux acteurs du système de santé en les aidant à construire des outils adaptés aux besoins et aux usages des patients.
Enfin en 2016, j’ai intégré le programme PEP 13 de Paris XIII. Ce sont des patients enseignants, qui participent à la formation des internes en médecine générale. Une grande révolution !
Vous avez lancé en 2019 avec Catherine Adler Tal, onco-psychologue et onco-sexologue, une websérie « Et si on parlait du cancer autrement ? » Peux-tu nous la présenter ?
C’est parti d’une idée suite à des vacances que nous passions, Catherine et moi, pendant lesquelles nous faisions des vidéos où nous relations nos journées. A la fin de notre périple, nous étions tristes d’arrêter d’autant que ces vidéos étaient très attendues et très vues. Nous avons décidé de les continuer mais sur un mode plus « professionnel », puisque nous étions toutes les deux très investies dans le milieu du cancer, Catherine Adler Tal en tant qu’onco-psychologue, onco-sexologue et moi en tant que patiente.
Nous avions déjà travaillé ensemble, notamment sur des émissions de Web radio à destination des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique pour Novartis , et il nous a semblé pertinent d ‘associer à nouveau nos deux points de vue convergents (mais pas toujours !), dans un format différent, plus accessible !
Nous avons appelé ce programme « Et si on parlait du cancer autrement ?» car nous voulions qu’il nous ressemble : nous parlons du cancer sérieusement mais sans nous prendre au sérieux ! Pendant la crise COVID, cela a été plus compliqué et après 20 vidéos, nous avons eu l’impression d’avoir balayé une grande partie des sujets qui tournent autour du cancer Après réflexion, nous avons décidé de reprendre les tournages mais cette fois, en donnant la parole aux principaux intéressés : les patients. Cette initiative a rencontré un vif succès car nous avons déjà été contactées par une douzaine de personnes qui souhaitent témoigner. La première de cette nouvelle série est en ligne sur notre chaine YouTube.
Pour quelles raisons avez-vous souhaité lancer cette initiative ?
On parle beaucoup du cancer mais pas toujours avec les bons mots, ni le ton juste. Les patients vivent, rient, pleurent, aiment, détestent …. comme tout le monde. Il est important de parler de la maladie avec un ton différent, sans pitié ni pathos, et aussi d’aborder toutes les problématiques même celles les plus tabous comme la sexualité. Nous n’abordons jamais les choses d’un point de vue médical. Nous ne sommes pas médecins ! Les proches sont également les grands oubliés du système, nous en parlons beaucoup. Ces vidéos leur sont aussi destinées.
Très présente sur les médias sociaux depuis de nombreuses années, comment vois-tu l’émergence de plus en plus de patients qui utilisent ces nouveaux territoires d’expression ?
En 2009/2010, ce phénomène émergeait en France et nous étions très peu, notamment sur Twitter. Je suis ravie de voir qu’aujourd’hui, nous avons été rejoints par une armée !
Je pense que cela va avec la démocratisation des réseaux et les hashtags comme #Metoo qui ont permis à la société de comprendre qu’ils étaient une arme politique. Les patients échangeaient depuis longtemps sur internet, et évoluaient en communautés d’entraide, de partage d’expérience etc… Aujourd’hui, d’autres voix s’élèvent, pas forcément encadrées et structurées comme dans le milieu associatif. Certains de ces e-patients ne se reconnaissent pas dans les associations qui pourtant sont indispensables. Ces dernières ont mis du temps à s’emparer de l’outil. La crise COVID a permis de leur montrer l’importance du digital et elles ont très bien joué le jeu !
On passe d’une démocratie représentative à une démocratie participative, comme le phénomène des gilets jaunes. Internet n’échappe pas à cette évolution.
Plus globalement, est-ce que le numérique a contribué à faire en sorte que la voix des patients soit une voix qui compte ?
Sur les réseaux, la parole est débridée, rapide, sans filtre. On le voit bien, dans tous les domaines y compris la politique, ils sont incontournables mais peuvent être violents ! C’est un monde sans pitié, comme en médecine, il y a des bénéfices certains mais aussi des risques. Il faut les accepter.
Le numérique a contribué à l’empowerment des patients. Je pense que malheureusement la crise de cette année a démontré à quel point cette place des patients était fragile. La démocratie en santé est la grande oubliée des derniers mois. Finalement les réseaux ont été le seul espace dans lequel les patients ont pu s’exprimer, de là à dire qu’ils ont été entendus…
Pour finir, comment vois-tu évoluer l’e-santé dans les années à venir en France, et plus spécifiquement la place du patient ?
On a observé un recul dans cette place dans le système de santé qui avait été obtenue de haute lutte grâce au travail des associations et à la loi Kouchner du 4 Mars 2002. Force est de constater que tout ceci est bien fragile !
En ce qui concerne la e-santé, elle est en marche J ! Je ne vois pas de retour en arrière possible. Pour qu’elle soit efficace du point de vue des patients, il faudrait se structurer, éviter de partir dans tous les sens et mutualiser nos forces. Il faut que les deux courants (associatif et numérique), plutôt que de s’opposer, cohabitent sereinement pour améliorer ensemble le système de santé. Mais le chemin est encore long et semé d’embûches ! Je suis une éternelle optimiste, alors disons que si notre ciel s’est obscurcit, le beau temps reviendra. Il faut toujours une bonne averse pour faire un bel arc-en-ciel.
Pour aller plus loin : Et si on parlait du cancer autrement ?
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