A la rencontre de Loic Etienne et de e-docteur

Régulièrement, je vous propose de partir à la rencontre d’un acteur du digital santé en France.

Aujourd’hui, partons à la rencontre du Dr Loic Etienne, médecin urgentiste et inventeur du système expert d’e-docteur, plateforme web d’analyse des symptômes.

Bonjour Loic. Peux-tu te présenter brièvement ?

Je suis médecin urgentiste depuis 34 ans. Sans doute est-ce ce contact fort mais éphémère avec les patients qui m’a amené en 1987 à créer 3615 ECRAN SANTE avec le soutien du Gan. Notre but était de préparer la venue du médecin à domicile en donnant des conseils préalable à la visite, et de l’accompagner avec des informations après le départ de celui-ci. Par la suite j’ai fondé docteurclic.com qui a été le prolongement internet de cette idée initiale. Avec notre équipe de médecins nous avons répondu à 450.000 questions et rédigé plus de 30.000 pages d’information santé. Le Système expert MEDVIR est le fruit de 25 années de travail et de réflexions que j’ai développées dans zeblogsante.com

Comment est venue lidée de e-docteur ?

L’idée d’un système expert remonte dès l’époque du minitel en 1987, où j’ai commencé à mettre au point un système d’aide à la décision très embryonnaire consistant à répondre aux questions des patients face à une situation de santé urgente : que faire ? Est-ce grave ? Qui appeler ? Avec l’amélioration des performances des ordinateurs, j’ai pu modéliser les principes de base d’un raisonnement médical qui doit au cours d’un simple interrogatoire, envisager des causes possibles au problème du patient, dépister une urgence, et envisager les suites à donner. Cela m’a amené à constater qu’une décision médicale dépendait bien entendu des diagnostics suspectés, mais que l’absence de diagnostic n’empêchait pas de prendre une décision. Il a donc fallu trouver un système d’intelligence artificielle en mesure de résoudre cette problématique, ce qui a pris beaucoup de temps. Le système actuel a 5 années de recul. La rencontre avec e-santé qui a créé e-docteur a été très naturelle, car il nous a semblé que c’était le seul site à fort trafic et ayant des préoccupations communes avec les nôtres, en mesure d’accueillir ce système MEDVIR et de le proposer à ses internautes.

Quel apport pour linternaute ? Quelles fonctionnalités ?

Le mode de recueil des symptômes est très simple puisqu’il s’agit de répondre à des séries de questions compréhensibles par tous, simplement en cochant des cases. En moins de 5 min, le système envisage (ou pas) des causes possibles, il fournit des conseils (gestes à faire et ne pas faire, médicaments d’automédication, signes à surveiller, explications sur les causes possibles…). Enfin, il balise la situation avant la consultation du médecin ou l’appel aux secours adaptés. Ainsi, grâce à cette sorte de « régulation virtuelle », le patient peut être éclairé sur sa situation et les moyens d’y remédier. Mais ça s’arrête là. En effet, un régulateur réel au téléphone par exemple, est un médecin qui prend des mesures réelles (envoi d’un médecin, d’une ambulance, etc.) et il accomplit de ce fait un acte médical. Ce système n’est qu’une machine qui donne des informations indicatives et qui ne sera jamais en mesure de réaliser un acte médical. Ce système ne peut donc en aucun cas remplacer une consultation avec un médecin, laquelle est la seule susceptible, grâce à l’examen clinique et les examens complémentaires, de poser un diagnostic et de mettre en route un traitement et un suivi. Son seul objectif est de rassurer quand c’est possible et alerter quand c’est nécessaire. Il se comporte comme le pilote automatique d’un avion qui recueille des données et qui vérifie que tous les voyants sont au vert. Mais c’est le pilote qui au final prend les décisions.

Comment est perçu e-docteur par tes pairs ?

Quand j’ai commencé il y a 25 ans, le seul fait de fournir des informations en santé était considéré comme dangereux par une grande majorité de médecins. 25 ans après, ce sont les médecins eux-mêmes qui s’emparent de la e-santé et qui, suivant en cela les recommandations de l’Ordre des Médecins de Décembre 2011 (livre blanc de la déontologie médicale sur le web), s’investissent dans des sites et des applications à destination du public. Il y a bien sûr encore des résistances, qui sont moins liées à un rejet de ce genre de système, qu’à une crainte légitime que le médecin et surtout la relation médecin-patient soit pervertie et infiltrée par le monde assuranciel et pharmaceutique. Il y a également la crainte d’une déshumanisation de la relation médecin-patient, mais je pense bien au contraire, que des patients mieux informés et mieux régulés avec des médecins mieux rémunérés qu’ils ne le sont, donc ayant plus de temps à consacrer à la consultation, permettront de réhumaniser la relation. Des médecins m’ont d’ailleurs contacté car ils sont intéressés pour amener leur pierre à l’édifice et contribuer à l’inlassable et nécessaire amélioration de ce système.

Tu as développé les concepts de médecine 3.0 et santé 3.0. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Le principe de la santé 3.0 est de considérer que le monde 2.0 que nous vivons actuellement et qui met en relation bijective l’individu et la société au travers d’un ordinateur, est prêt à se compléter désormais par un 3ème acteur qui est la machine elle-même. Dans le monde 3.0, la machine, parce qu’elle est intelligente et encadrée par une éthique très stricte, est en mesure de donner un avis ou des informations à l’individu et à la société avec qui elle communique. C’est grâce à ces deux qualités indispensables que les individus accepteront de fournir des données de santé anonymes, mais géolocalisées et personnelles qui permettront de recueillir des big datas qualifiées et hiérarchisées. Cette masse de données intelligibles va nous permettre de faire de la médecine 3.0 dont l’un des exemples est l’épidémiologie en temps réel (suivi d’épidémies, ou de pathologies sur tout le territoire, soupçonnés par le simple recueil des symptômes par le patient), et d’observer à l’échelle de l’ensemble de la population des phénomènes sur lesquels nous n’avons que des études très parcellaires. Exemple : quelle est l’effet réel d’une ligne à haute tension ou des antennes relais sur les symptômes et les pathologies des habitants à proximité ?

Observateur de le-santé en France, comment vois-tu évoluer l’e-santé dans les années à venir en France ?

L’avenir est à la prévention personnalisée (la prévention 3.0), cela participera de l’amélioration de la santé individuelle.  Par ailleurs l’observation des populations à grande échelle sur de multiples pathologies en se servant du formidable levier des communautés de patients, va, je pense, nous permettre de découvrir des relations insoupçonnées entre des pathologies disjointes et faire avancer à la fois la recherche fondamentale et la séméiologie (l’étude des signes). Notre médecine souffre du cloisonnement entre les spécialités médicales ; cette absence de transversalité, fait que des pathologies comme le psoriasis ou les maladies auto-immunes par exemple, limitent notre façon de les observer et diminuent notre capacité à comprendre les liens invisibles qui les relient. Je pense donc que la participation du monde de médecins plus transversaux et du monde des patients co-acteurs de la santé autour de machines intelligentes et éthiques va nous faire entrer dans une autre vision de la médecine. Ceci ne sera toutefois possible que si l’on respecte ce temple sacré qu’est une  relation forte, humaine et confiante entre le patient et son médecin.

Pour aller plus loin : e-docteur ,  www.zeblogsante.com

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