A l’occasion de la conférence #Sim4Health organisée le 11 mai prochain par Interaction Healthcare et son département de simulation numérique en santé Sim for Health, partons à la découverte de la simulation numérique en santé avec un dossier spécial. Second volet : les principaux enjeux avec le Pr Granry et le Pr Staccini.
Le Professeur Granry, Président de la société Francophone de Simulation en Santé (SoFraSimS), Chef du Pôle anesthésie-réanimation et médecine d’urgence du CHU d’Angers
Le Pr Staccini, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, Responsable du Département d’Information et d’Informatique Médicale (DIIM) du CHU de Nice et Co-Fondateur de SeGaMed (Serious Games for Medicine and Health)
Une définition de la simulation numérique en santé
Avant toute chose, partons sur une définition simple et étymologique de la simulation numérique en santé avec le Pr Staccini.
« Simulation et santé : c’est un élément fondateur de l’évolution pédagogique. Je n’apprends plus en lisant et en regardant, j’apprends en faisant dans un environnement contextualisé (immersif). Dans le faire, il y a la partie décisionnelle (cognitive), la partie opérationnelle (procédurale) et la partie processuelle (organisation).
Simulation et numérique : depuis de nombreuses années, le calcul numérique a rendu la simulation « visualisable » et « utilisable ». Avec la formalisation mathématique, la résolution de problèmes physiques, etc. la simulation a épousé le numérique (ou l’inverse). On pourrait même dire que la simulation fait d’emblée penser au numérique et vice versa. Pour aller plus loin avec les environnements virtuels, les jeux vidéo, etc. on ne fait plus la différence. On a tout massé sur un mannequin. Maintenant on a un feedback possible. Le numérique permet ce que les yeux et les oreilles du moniteur ne pouvaient pas voir.
Numérique et santé : les modèles mathématiques et les modèles statistiques ont fait avancer la connaissance sur le comportement des phénomènes sanitaires. La formation par le numérique a pris son essor en France avec les opérations « campus numérique » en 2000 qui a fait passer les initiatives individuelles à un échelon institutionnel (l’économie numérique de la formation..) »
Pour le Pr Staccini, il faut bien comprendre que dans l’expression « simulation numérique en santé », il y a deux aspects :
- « la simulation pour réaliser: avant la réalisation d’un geste, planification d’un geste, modélisation pour anticiper et guider la réalisation (médecine personnalisée)
- simulation pour apprendre: aide à l’apprentissage du professionnel en formation initiale et continue au travers de différentes situations, imaginées, inspirées du réel, etc. »
Les enjeux globaux de la simulation numérique en santé aujourd’hui
Dans la simulation numérique en santé, on peut distinguer différents enjeux.
Un enjeu pédagogique
Pour le Pr Granry, « c’est avant tout un enjeu pédagogique. L’important est de transmettre les connaissances par l’intermédiaire du numérique via les e-learning et les compétences via les outils de simulation ». Les outils de simulation doivent répondre à ces enjeux pédagogiques et « être intégré « naturellement » dans l’environnement (à la fac comme à la maison) de l’étudiant (en médecine et autres professions de santé : infirmières, kiné, pharmacien, sage-femme, etc.) » indique le Pr Staccini. Pour cela « les équipes ne sont pas extensibles et les besoins importants. Il faut généraliser la simulation numérique en santé à toutes les formations initiales en santé. L’enjeu est donc de développer un programme de formation de formateurs. Par exemple, des tuteurs ont été mis en place à Nice pour les 3e année de médecine et ça marche bien ! ».
Un enjeu économique et politique
Le marché mondial de la simulation numérique en santé devrait doubler d’ici 2019 pour dépasser les 500 millions de dollars (1). « Le marché de la simulation est non négligeable et peut permettre la création de nouveaux emplois » indique le Pr Granry. D’autres enjeux économiques sont identifiés par le Pr Staccini : « Comment maintenir techniquement et donc financièrement les outils de simulation développés ? Quel ROI pour une faculté, quel modèle économique pour une formation académique qui ne « vend » rien ? ». Des questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses.
Un enjeu de recherche
Il existe un véritable enjeu dans la recherche médicale, biologique. Pour le Pr Granry, « la recherche en numérique fait des bonds incroyables. La recherche en santé, en biologie en particulier, fait de grande avancée notamment avec la simulation moléculaire ». Selon le Pr Staccini, « un autre enjeu est la recherche en simulation, la gamification des interfaces, la gamification de la formation, non pas dans les décors, mais dans les challenges à relever, un défi contre la montre, contre la mort. »
Un enjeu sécuritaire
Comme nous l’avons vu précédemment, un des aspects important de la simulation numérique en santé est la simulation pour réaliser, qui permet notamment de sécuriser les actes médicaux. Elle est notamment de plus en plus utilisée pour « la préparation des interventions en chirurgie en simulant informatiquement les différents actes chirurgicaux » indique le Pr Granry.
Un enjeu technologique
La technologie évolue sans cesse et à très grande vitesse. L’enjeu est donc d’intégrer tous ces nouveaux outils dans la simulation numérique en santé, la rendre mobile (rejouer chez soi, s’entrainer…). La réalité virtuelle ou augmentée en fait partie. Aujourd’hui « il y a d’autres dispositifs, qui partent du réel et l’enrichissent : la réalité augmentée pour guider un chirurgien junior par exemple en salle d’opération » indique le Pr Staccini. « Concernant la simulation numérique a proprement parlé, c’est à dire une simulation sans artefacts, seulement en virtuel numérique, l’enjeu est de pouvoir disposer d’une machine à contextes, à scenarios, à environnements, etc. Un peu comme les ateliers Barbie et Ken, comme les Playmobils, voir même les Legos… L’évolution de ces jeux a suivi l’environnement et les personnages sont contextualisés » poursuit-il.
Le développement de la simulation numérique en France
Elle se manifeste notamment « via les « jeux sérieux » qui se développent beaucoup, notamment en dermatologie autour du psoriasis, ou en psychiatrie, dans l’autisme » précise le Pr Granry. « Ces jeux sont utiles pour les apprenants mais également pour les patients : ils ont un rôle important notamment dans l’éducation thérapeutique » poursuit-il.
Cette simulation numérique commence à prendre sa place en France mais des moyens doivent être mis en place pour accélérer ce développement. Pour le Pr Staccini, « elle ne doit pas être à la place de … mais en complément de … Comment faire ? L’introduire dans les programmes et évaluer les apprentissages (pour inciter à faire). Les fonds ne sont pas extensibles. Il faut en fait assurer un service de proximité (formation avant la 6e année par exemple) et faire en sorte qu’au niveau national on puisse avoir des centres de référence pour tel ou tel geste (exemple de Websurg et de l’IRCAD à Strasbourg). Ca c’est pour le mannequin numérisé ou le simulateur de gestes. Pour la simulation numérique, les choses sont claires. Avec le congrès annuel Segamed, on mesure année après année les progrès accomplis par les industriels : bibliothèques, interactivité, la construction de la boite à outils… Il faut maintenant fabriquer les scripts d’animation, ce qui nécessite une équipe et non une seule personnel… ».
Le positionnement de la France par rapport aux autres pays européens et aux Etats-Unis
La France se positionne aujourd’hui dans le peloton de tête international de la simulation numérique en santé. « La France est le 1er pays en investissement dans la simulation numérique après les Etats-Unis. » précise le Pr Granry.
Il existe toutefois des problèmes structurels qui font que la France peut avoir un certain retard. Pour le Pr Staccini, la France « n’est ni en avance ni en retard si l’on tient compte de la phase d’accélération des 5 dernières années. Mais dans le domaine des jeux sérieux (pour le professionnel en formation initiale et continue), pour le patient (éducation thérapeutique), nous devons aller plus vite. Les développements sont coûteux, les modèles de ROI mal affirmés. Il nous faudrait pouvoir montrer aux étudiants des choses… et pour l’instant on est un peu en retard. Aux US, il existe une mise de fonds très importante, des travaux d’envergure et une vraie mobilisation (exemple de Games4Health à Boston).
Pour les reste (mannequins), nous avons développé une démarche d’accréditation avec l’aide des US. Nice est accrédité par l’American College of Surgeons. Il faudrait que nous puissions étendre cela en France et en Europe. »
La place de la simulation numérique par rapport aux modes traditionnels de formation
Bien que la simulation numérique se développe, elle reste en retrait par rapport aux modes traditionnels de formation. Selon le Pr Granry « La place de la simulation numérique reste encore faible en France. Cela peut s’expliquer notamment par :
- un manque de connaissance des étudiants de l’étendue de la simulation numérique = jeux sérieux, réalité virtuelle…
- une méconnaissance des enseignants de cette méthode pédagogique
- une obsession des examens pour les étudiants qui restent sur des formats traditionnels même si on voit émerger une numérisation des ECN avec notamment des cas cliniques virtuels»
Pour le Pr Staccini, cette place de la simulation numérique se résume en « un seul mot : complémentarité. Les modes traditionnels persistent. Il faut faire plancher les étudiants, dépister et corriger les hésitations, les erreurs et leur faire comprendre. Les scenarios de remédiation en pédagogie passent par la répétition et pour l’instant le numérique ne remplace pas l’humain. »
Importance de l’évaluation dans les programmes de simulation
Dans les programmes de simulation, plus que dans les autres modes de formation, l’évaluation est importante. « L’évaluation est capitale mais trop peu développée en France » indique le Pr Granry. « Elle a commencé dans les écoles d’infirmières et de sage-femmes par l’intermédiaire des examens cliniques d’objectifs structurés (ECOS). Les étudiants passent des stations avec les formateurs qui les interrogent dans des conditions assez proches de la réalité au niveau de chaque station. Cette évaluation va devenir de plus en plus importante dans les prochaines années » poursuit-il.
Même constat pour le Pr Staccini : « l’évaluation est un des objectifs à enjeu très important. Certes si la « transmission » de connaissances est un élément important, cette transmission se fait en contextualisant le geste, le propos, la réaction, le comportement. Et puisqu’on apprend autre chose que de la simple connaissance (savoir) mais aussi du savoir faire et du savoir être, il faut donc que les modalités d’évaluation « changent », « s’adaptent ». »
Pour que l’évaluation prenne toute sa place, il faut en faire évoluer ses modalités. « Le fait de parler d’une modalité d’évaluation qui suive le mode d’apprentissage n’est pas innovant. C’est le bon sens. Si nous avons inventé le terme de « docimologie » pour parler des méthodes et techniques d’évaluation, j’ai inventé le néologisme de « dossimulogie », c’est-à-dire la docimologie adaptée aux contextes de l’apprentissage par simulation » indique le Pr Staccini.
« Avec l’internat, par exemple, nous avons revu la docimologie des dossiers cliniques traditionnels : ainsi les dossiers sont progressifs : on ne peut pas revenir à une question répondue, les questions sont indépendantes et si des informations doivent être apportées elles le sont au fur et à mesure. Avec le numérique, et en s’inspirant des travaux canadiens de Bernard Charlin, nous avons introduit les tests de concordance de scripts. On voit donc que la « docimologie » s’adapte au mode de formation et d’évaluation.
Pour évaluer les comportements, les américains ont mis en place des consultations standardisées, un peu sur le modèle ECOS (examen clinique objectif structuré), le patient virtuel est aussi utilisé. Le passage au numérique de ces formes d’évaluation s’appelle le eVIP développé par un consortium européen (en 2007 !) et que nous allons développer en France. Un séminaire de formation est prévu à la rentrée universitaire 2016 à Nice. »
On le voit il existe de nombreux enjeux pour la simulation numérique en santé qui est en plein essor. Suite de notre dossier spécial dans les prochains jours où de nouvelles thématiques seront abordées : amélioration de l’observance, la réalité virtuelle, le médecin et l’intelligence artificielle…
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