Claude Touche nous présente eVeDrug

Régulièrement, je vous propose de partir à la rencontre d’un acteur du digital santé en France.

Ce mois-ci, partons à la rencontre de Claude Touche, Directeur associé de la start up eVeDrug.

Bonjour Claude. Peux-tu te présenter brièvement ?

Mon parcours est assez atypique (je ne suis pas professionnel de santé). Par contre, je suis tombé « dans la pharmacovigilance européenne » depuis un peu plus d’une dizaine d’années, et ma connaissance des circuits et des acteurs est assez complète.  L’important est de savoir bien s’entourer : je travaille avec des professionnels de l’industrie pharmaceutiques et des scientifiques ayant mis leur savoir faire en commun, tous forts de leur expérience acquise aussi bien auprès des milieux Industriels (les laboratoires et les fabricants) que des milieux Institutionnels (les autorités de santé de différents pays).

D’une manière générale, je rêve d’une santé publique et participative, même si cette vision est pour l’instant idéaliste (ce qui n’est pas incompatible).

Comment est venue lidée de eVeDrug ?

J’ai toujours été frappé par la liberté donnée aux patients en 2011 de déclarer eux-mêmes leurs propres effets indésirables directement aux autorités de santé … et l’échec de cette mesure, puisque environ 5% des effets secondaires sont rapportés aux autorités (soit le même pourcentage qu’avant le décret de 2011). Une « belle » réglementation, très idéaliste sur le fond, passée complètement inaperçue sur la forme, et donc sans réelle efficacité à ce jour.

Nous avons donc créée eVeDrug en injectant une bonne dose de e-Santé à notre Pharmacovigilance traditionnelle, tout en respectant l’équilibre délicat entre Réglementaire, application utile, et application facile d’utilisation. Le tout a donné naissance à My eReport en 2013: une application gratuite de Santé publique permettant de notifier les effets indésirables des médicaments, tout en s’informant sur ces mêmes effets.

Vous venez justement d’être récompensé lors des Trophées de la Santé Mobile pour lapplication My eReport. Peux-tu nous la présenter ?

L’idée première est qu’une information ne peut pas être collectée sans retour. Il faut susciter l’envie !

My eReport permet donc à toute personne (patients, proches, professionnels de santé) de pouvoir déclarer de façon simple, rapide et sécurisée, un effet indésirable depuis tous types de terminaux mobiles, et depuis n’importe quel pays de l’Union Européenne.

En retour, des informations pertinentes concernant les effets secondaires et leurs déclarations en Europe sont mises à la disposition des déclarants.

L’application est gratuite et téléchargeable sur l’App Store et Google Play. Elle est disponible à ce jour en version allemande, anglaise, espagnole, française, italienne, néerlandaise, portugaise, roumaine et tchèque…

Votre déclaration sera transmise en temps réel à l’agence nationale du pays dans lequel l’effet indésirable est survenu (en France, votre déclaration sera transmise à l’un des Centres Régionaux de pharmacovigilance dépendant de l’agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé – ANSM).

L’application permet :

  • de conserver un double de vos déclarations sur votre Smartphone (ou sur votre Tablette …). Vous pouvez consulter à tout moment l’historique de vos déclarations.
  • de connaître en temps réel l’adresse Email de l’autorité de santé européenne chargée de prendre en compte votre déclaration. Cette adresse vous permet d’étoffer à tout moment votre déclaration, si besoin.
  • dans le cas d’un patient, l’application vous invite à envoyer un double de votre déclaration directement à votre médecin traitant. Ce dernier peut donc être prévenu en temps réel des effets liés à votre traitement.

L’application vous communique, d’une manière très pédagogique, le nombre de personnes ayant pris le même médicament que le vôtre et ayant constaté le même effet indésirable que le vôtre. Ce retour de data vers le patient ne remet ni en cause la qualité d’un traitement ni celle de l’efficacité d’un médicament.

Enfin, vous êtes invités à consulter le site officiel des autorités de santé afin de savoir si votre effet est déjà connu, ou non.

Quelles sont les prochaines étapes dans le développement de eVeDrug ?

En 2016, My eReport devient également un site internet, www.myereport.eu, permettant à chacun de visualiser en temps réel les effets indésirables déclarés à la fois avec l’application My eReport, et avec les formulaires de déclarations en ligne mis en place chez nos partenaires : des associations de patients soucieuses de pharmacovigilance ; des Sart-Up innovantes ; des opérateurs de télémédecine désireux de fournir un service citoyen…

L’approche se veut pédagogique. Le site vous permet :

  • de vous renseigner sur les effets déjà connus des médicaments;
  • de pouvoir les déclarer à votre tour ;
  • de visualiser en temps réel les zones géographiques de déclaration.

Concrètement : à quoi cela sert-il ?

… A faire de chaque citoyen le contributeur d’une pharmacovigilance prédictive, dont le but n’est pas de déclarer un effet pour le plaisir de le visualiser sur une carte, mais de participer à un grand projet collaboratif de détection d’effets indésirables non encore connus.

Si vous donnez accès aux informations de pharmacovigilance déjà connues de la part des autorités de santé, le sérieux et la précision des déclarations ne peuvent qu’être tirés vers le haut.

Si vous donnez accès aux informations sur les risques d’effets secondaires liés aux mésusages, à la prise simultanée de plusieurs médicaments … vous orientez l’individu vers une approche personnalisée de la pharmacovigilance. L’observance à son tour ne peut qu’en être améliorée.

Tout citoyen ayant accès en temps réel aux informations déclarées par les autres, la pharmacovigilance devient participative … et le résultat préventif.

Le système devient alors un formidable lanceur d’alertes et un puissant outil de détection de signaux.

Grâce au site, si toute personne peut déjà avoir une vision géographique et en temps réel des effets déclarés par chacun (par pays, par département …), les autorités de santé peuvent en avoir une vision beaucoup plus aboutie puisqu’elles sont les seules à pouvoir documenter les déclarations nominatives.

Les autorités peuvent gérer des déclarations qualitatives (si nominatives, donc faciles à documenter). Mais elles peuvent aussi détecter certains signaux en analysant une manne de déclarations quantitatives (si anonymes, donc impossibles à documenter) en se basant sur des ratios de type : Type d’effets déclarés / type de médicaments absorbés (et substances actives communes à ces médicament).

Smart data contre Big data : Ces deux termes s’appliquent aussi à la pharmacovigilance. Qui l’emportera ? Aucun des deux à vrai dire, ils sont amenés à cohabiter …

Quel intérêt pour un un laboratoire de mettre en avant un système participatif de déclaration des effets indésirables de ses propres médicaments ? 

Le système se veut vertueux avant tout. Le but n’est pas de critiquer les médicaments en mettent en avant leurs effets indésirables, mais de mieux prévenir les risques sanitaires. Il y a bien longtemps que chacun sait que les effets indésirables sont inévitables … donc mieux vaut les prévenir, de préférence avec l’aide des citoyens, que de devoir faire face à une éventuelle crise sanitaire.

Concernant les laboratoires : My eReport et les autres formulaires en ligne vous permettent de déclarer également des effets «positifs». Ces effets n’intéressent pas les autorités de santé et n’entrent pas dans le cadre légal de la pharmacovigilance.

Beaucoup moins médiatiques que les effets indésirables, ils existent néanmoins et permettent aux laboratoires de trouver d’autres débouchés à certains médicaments vieillissants. Le Viagra, initialement prévu pour des personnes souffrant de problèmes cardiaques, est finalement connu pour tout autre chose ! De même, l’analyse des effets du Botox a montré son efficacité également en cas de migraines chroniques.

Un système vertueux ou les citoyens verraient l’intérêt de déclarer, ou les industriels verraient l’intérêt que les citoyens déclarent, et ou les autorités joueraient leur rôle de gendarme : Voilà vers ou nous devons aller.

Observateur de le-santé en France, comment vois-tu évoluer l’e-santé dans les années à venir ?

La Santé est là pour guérir, la e-Santé est là pour booster la Santé, mais l‘avenir de la Santé reste la Santé prédictive : éviter de tomber malade en essayant de garder l’être humain en bonne santé.

En pharmacovigilance, l’intérêt à court terme serait de collecter des données « classiques » (sexe, âge, nom du médicament, effets indésirables …) couplées à des données permettant une approche en temps réel encore plus personnalisée : données d’observance en temps réel issues d’un pilulier connecté ; données cardiaques issues d’un tracker d’activité ; pilule connectée permettant de surveiller la température depuis l’intérieur du corps … etc

Logiquement, cette approche plus personnalisée devrait devenir aussi plus collective (ainsi, le crawling des effets indésirables sur les réseaux sociaux n’est pas encore obligatoire, mais certaines maisons mères d’établissements pharmaceutiques incitent déjà leurs filiales à le faire)

On est donc dans une approche totalement multiple de la santé. Inutile d’être réfractaire à cette idée, “L’homme absurde est celui qui ne change jamais ” (cette citation n’est malheureusement pas de moi mais de Georges Clemenceau).

Pour aller plus loin : www.evedrug.eu / www.myereport.eu

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