[Chronique] Inclusion numérique : la grande oubliée de la e-santé

Dans la suite des avis tranchés précédents, je vous propose une nouvelle chronique sur un enjeu majeur autour du numérique santé, peu abordé ou de manière limitée : l’inclusion numérique.

La e-santé avance vite. Très vite. Téléconsultations, dossiers patients dématérialisés, applications dédiées au suivi, IA au service des parcours de soins… Le numérique s’impose partout, présenté comme la solution pour moderniser un système sous tension. Mais derrière la success-story technologique, une question dérange, presque taboue : que devient la part de la population qui ne suit pas ? Car à mesure que le numérique gagne du terrain, une fracture silencieuse s’installe. Et elle touche précisément ceux qui ont le plus besoin du système de santé.

On parle souvent d’« inclusion numérique » avec bienveillance, comme s’il s’agissait d’un supplément d’âme. En réalité, c’est un enjeu sanitaire majeur. En France, près de 13 millions de personnes sont en difficulté face au numérique. Parmi elles, des personnes âgées, des citoyens éloignés des soins, des patients en situation de handicap, des malades chroniques épuisés. Pour eux, prendre un rendez-vous en ligne, télécharger une ordonnance, accéder à Mon Espace Santé ou réaliser une téléconsultation n’est pas une amélioration : c’est un obstacle. Une barrière invisible qui se dresse entre eux et le système qui est censé les protéger.

Pendant que des plateformes affichent des innovations flamboyantes, certains renoncent aux soins faute d’accès numérique ou de compétences pour l’utiliser. Une fracture silencieuse, qui ne fait pas de bruit, mais qui produit des dégâts très concrets : retards de prise en charge, isolement, perte d’autonomie, aggravation des pathologies. Le numérique devait simplifier les parcours, il peut les complexifier pour ceux qui ne peuvent pas suivre.

Il est temps de sortir de la vision naïve qui voudrait que le numérique soit naturellement inclusif. Une interface mal conçue exclut. Une procédure dématérialisée sans alternative exclut. Une absence d’accompagnement exclut. Et dans le domaine de la santé, exclure, c’est mettre en danger.

Pourtant, des solutions existent. Les ateliers d’accompagnement au numérique en pharmacie, en mairie, en maisons de santé pluriprofessionnelles. Les médiateurs numériques, ces professionnels encore trop peu identifiés mais essentiels. Les applications pensées avec et pour leurs utilisateurs, testées auprès de publics fragiles, traduites, simplifiées, rendues accessibles aux écrans d’assistance. Les plateformes qui proposent encore un accueil téléphonique humain. Les services qui assument que tout ne doit pas être digital ou automatisé.

L’inclusion numérique, ce n’est pas un supplément. C’est la condition pour que la e-santé tienne ses promesses. Parce qu’un système de santé qui se modernise en laissant des millions de citoyens sur le bord de la route n’est pas un système innovant. C’est un système qui prend le risque d’accentuer les inégalités.

Nous n’avons pas besoin d’une e-santé parfaite technologiquement, mais d’une e-santé juste. Accessible, lisible, accompagnée. Avec du numérique, oui. Mais avec de l’humain, toujours.

Rémy Teston

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