[Chronique] Adoption du numérique par les soignants : un frein technologique ou la peur du changement ?

Après cette pause estivale, je vous propose une nouvelle chronique pour s’interroger sur le manque d’adoption du numérique par les soignants dans leur pratique : est-ce un frein technologique ou tout simplement une peur du changement ? 

Le numérique a conquis tous les pans de notre société, mais son adoption dans le secteur de la santé demeure étonnamment lente. Pourtant, entre les promesses de télémédecine, de dossier médical partagé, de l’IA ou encore d’outils de coordination des soins, le numérique apparaît comme un levier majeur pour améliorer la qualité, la sécurité et l’efficience des prises en charge. Alors pourquoi tant de soignants hésitent-ils encore à franchir le pas ? Le problème est-il réellement d’ordre technologique, ou relève-t-il davantage d’une peur du changement ancrée dans les mentalités ?

La question mérite d’être posée tant la fracture numérique en santé est profonde. Sur le terrain, de nombreux professionnels déplorent des outils peu ergonomiques, chronophages ou mal intégrés aux logiciels existants. Combien de médecins regrettent de devoir jongler entre plusieurs plateformes, avec des interfaces parfois dignes des années 1990 ? Combien d’infirmières se retrouvent à scanner des ordonnances ou ressaisir des informations faute de solutions vraiment interopérables ? Ces freins techniques ne sont pas anecdotiques : ils alourdissent la charge de travail et alimentent la défiance vis-à-vis des outils numériques.

Mais limiter le problème à une question purement technologique serait réducteur. Car même lorsque les solutions sont bien conçues, un autre obstacle se dresse : la résistance au changement. L’histoire de la santé est celle d’une profession profondément attachée à ses pratiques et à ses repères. Introduire un nouveau logiciel de prescription ou un dossier médical partagé, c’est souvent bousculer des habitudes construites au fil de décennies. Certains y voient une perte d’autonomie ou un risque de déshumanisation de la relation avec le patient, quand d’autres redoutent simplement de ne pas avoir les compétences pour utiliser correctement ces outils.

Ce sentiment d’insécurité face au numérique est accentué par le manque de formation. La plupart des professionnels de santé n’ont pas été sensibilisés à la transition digitale pendant leurs études. Beaucoup découvrent ces technologies en cours de carrière, souvent sans accompagnement suffisant. Or, sans formation pratique ni pédagogie adaptée, la moindre difficulté technique peut se transformer en blocage psychologique.

Derrière la peur du changement, il faut aussi évoquer la question du temps. La pression quotidienne, la surcharge de consultations et les contraintes administratives laissent peu de place à l’apprentissage de nouveaux outils. Pour un médecin libéral ou un soignant hospitalier déjà débordé, se former à un logiciel peut apparaître comme une corvée, voire un luxe inaccessible.

Pourtant, il serait injuste de caricaturer les professionnels de santé comme des technophobes. Lorsqu’un outil numérique répond réellement à un besoin et s’intègre facilement dans la pratique, il est souvent adopté avec enthousiasme. La généralisation des messageries sécurisées ou le succès de certaines plateformes de télémédecine en sont la preuve. Le défi est donc moins d’imposer des solutions venues d’en haut que de construire, avec les soignants, des outils adaptés à leur réalité quotidienne.

En définitive, le retard du numérique en santé n’est ni exclusivement un problème technologique, ni seulement une peur du changement : c’est un mélange des deux, sur fond de manque de formation et d’outils souvent mal pensés. Pour lever ces freins, il faudra miser sur la co-construction avec les professionnels, investir massivement dans la formation continue et veiller à ce que la technologie serve véritablement la relation soignant-patient, au lieu de la compliquer. Car c’est seulement à ce prix que le numérique tiendra ses promesses d’une médecine plus moderne et plus humaine.

Rémy Teston

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